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Lors de la fête des rois de l’Association Valentin Haüy (AVH), le dimanche 21 janvier 2001, Didier Ailloud a été mis à l’honneur après avoir été président de l’AVH durant 5 ans. Ce fut l’occasion pour moi de faire une "déclaration" à mon coéquipier et ami tandémiste.

 

Mon Cher Didier,

Tout le monde ici sait ce que tu as fait pour l’AVH pendant de longues années et à quel point le comité grenoblois de cette "association au service des aveugles" a été dynamisé sous ta présidence, de 1995 à 2000. Françoise Lloret, notre nouvelle Présidente et d’autres également l’ont dit beaucoup mieux que moi.

Mon propos est d’une toute autre nature !

Tu sais que je suis un homme pudique et réservé et que je ne suis pas familiarisé avec l’exercice auquel je vais me livrer, qui va consister à te faire publiquement une déclaration… -je m’empresse de vous rassurer Mesdames, Messieurs, il s’agit d’une déclaration d’Amitié !-.

Et j’avoue que, bien que je ne sois pas un panégyriste (ce mot barbare pour les amateurs de la dictée du "Poinçon magique" !), je suis heureux de témoigner devant l’assemblée des membres de l’AVH, tout simplement du lien particulier qui nous unit, qui est indéfectible et qu’un homme n’a pas souvent la chance de connaître au cours de son existence…

C’est grâce au sport que t’ai connu, il y a tout juste 20 ans : tu étais svelte et je n’avais pas besoin de mes lunettes pour lire ; bref, c’était le bon temps !

À l’époque, j’étais très impressionné par ton palmarès : d’ailleurs, ton épouse, Katy, ne sait plus où ranger les médailles et les nombreuses coupes de tir à l’Arc, de ski de fond et de tandem… Mais les titres et la gloire conquis sur les stades des jeux para-olympiques et les circuits des championnats de France handisport ne t’ont pas fait tourner la tête. Et, petit à petit, je découvrais tes qualités de cœur, ton intelligence, ta culture, ton humour, ta joie de vivre et tes talents d’imitateur… et aussi, quelques fois, que tu es un homme de caractère…

Au début, j’étais bien conscient du service que je rendais et du plaisir que je pouvais procurer à un copain aveugle en lui permettant de sortir de chez lui, de "se dérouiller les jambes" ou de respirer l’air pur de la campagne.

J’étais loin d’imaginer tout le bénéfice que je recevrais en retour : je veux parler, certes, de l’amitié qui s’est bâtie au fil des saisons à force d’avoir partagé ensemble, dans différentes contrées de France, en Suisse et même en Angleterre, le plaisir de "pédaler rond", les joies de certaines descentes à 80 km/h, d’avoir vécu des moments difficiles dans les "bavantes" sous la pluie ou le soleil de plomb, d’avoir "tiré la bourre" à d’autres tandémistes et même à des "pro" du vélo…

Mais, au risque de te faire rougir, je dois dire aussi que j’ai été souvent édifié en face du courage dont tu faisais preuve dans tous les instants de la vie pour surmonter ta cécité, de ta capacité à réagir face au destin, de ton aptitude à goûter pleinement les petits bonheurs de la vie ordinaire, de ta faculté de voir ce que moi, voyant, je ne voyais pas… -Et je comprenais mieux les propos du "petit prince" : "on ne voit bien qu’avec le cœur !"-.

À plusieurs reprises, j’ai reçu de plein fouet ces leçons de la vie et l’occasion m’est donnée aujourd’hui de te dire "merci" car, sans le savoir, tu m’as fait comprendre que chacun est porteur d’un "handicap", celui de ses propres limites, et qu'il lui appartient de le combattre.

C’est ainsi que je découvrais que, toi et moi, nous étions à égalité sur le tandem : je prenais conscience que non seulement tu pouvais t’exprimer pleinement sur la machine, mais encore que tu pouvais me dépasser, au sens figuré bien-sûr, et qu’il m’appartenait de tout faire pour "être à la hauteur"… C’était vrai pour le tandem comme dans d’autres situations de la vie.

À bientôt 74 ans, tu t’es un peu assagi ! Mais, à l’instar de notre ami "Nan-nand" -Ferdinand Buis pour les intimes, le doyen des tandémistes, 84 ans-, tu n’as pas encore raccroché le vélo au clou ; et je m’attends à ce que, les beaux jours revenant, tu me proposes d’aller manger des rognons en Savoie ou dans l’Ain…

Nous avions un ami commun, Roger Grosjean, décédé il y a 5 ans déjà, qui aimait à citer cette définition malicieuse et provocatrice de l’historien Claude Manceron : "un ami, c’est quelqu’un que tu peux appeler en pleine nuit, et qui, sans te poser de question, t’aide à enterrer un cadavre au fond de son jardin…".

Si tu as un cadavre à planquer, mon cher Didier, tu le sais, tu peux m’appeler, à n’importe quelle heure de la nuit…

Ton fidèle ami,

BM

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