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Si la question m’était posée, je répondrais sans hésiter "les deux, mon capitaine !". Selon les époques de ma vie, j’ai été citadin ou habitant en zone rurale. Au passage, remarquons, qu’il est plus facile de désigner l’habitant d’une cité, le citadin, que celui d’une zone rurale, lequel est appelé indifféremment rural, campagnard, villageois, terrien ou contadin, voire paysan, rustique ou rustaud.

 

- Mais au fait, pourquoi cette question ?

- Et pourquoi pas ! Depuis 70 ans, la France a beaucoup changé et il peut être opportun de se demander vers quoi nous allons…

 

Je suis né à Calais en 1949, une ville qui comptait environ 50000 habitants. Nous étions donc des citadins. Nous habitions seulement à 45 km de Dunkerque, mais je n’ai pas le souvenir que nous y soyons allés. La famille a quitté Calais en 1957 pour rejoindre Sancoins, une bourgade du Berry de 3500 habitants, bien connue pour son marché aux bestiaux du mercredi. Puis l’activité de mon père a amené la famille à déménager à Chaumont, puis à Dole, puis à Lunéville.

 

C’est en 1967 que nous avons emménagé dans la maison que mes parents ont fait construire à Authume, un village de 510 habitants se situant dans le Jura à 5 km de Dole.

- Nous étions donc des villageois ?

- Oui et non !

Oui, du point de vue de l’Insee, Authume renfermant un nombre d'habitants inférieur à 2000. Oui, parce que notre maison était entourée de pâtures pour les vaches laitières, parce que nous avions créé un potager et un verger, parce que nous allions à pied chercher le lait à la ferme voisine, parce que nous apprécions la tranquillité et les avantages de la campagne, entre autres, l’absence de bouchons et de problèmes de stationnement...

Non, parce que nous étions en réalité des péri-urbains : mon père travaillait à Dole, les enfants y étaient scolarisés, et maman y faisait ses courses. En fait, nous avions les avantages de la ville et ceux de la campagne.

 

Il y a 2,5 millions d’années, les hommes se nourrissaient de la cueillette des fruits et de la chasse des animaux sauvages. Tout cela changea voici environ 10000 ans, lorsque la révolution agricole a modifié progressivement le mode de vie des homos sapiens. De nomades qu’ils étaient, bons nombres sont devenus sédentaires. Et cette situation a perduré fort longtemps.

Selon un article de 1989 de l’historien Jacques Dupâquier, membre de l’Institut de géopolitique des populations, le "plein rural en France" a été atteint au milieu du XIXème siècle avec 27 millions de ruraux dont 20 millions de ménages agricoles. Ces chiffres sont à rapprocher des 36 millions d’habitants que comptait la France en 1850.

Puis les campagnes se sont vidées petit à petit au profit des villes. Cependant, jusqu’à la seconde guerre mondiale, la France est restée une nation de paysans attachés à leur territoire et leurs traditions : en 1945, la France comptait 40 millions d’habitants, dont 19 millions de ruraux, parmi lesquels 10 millions de ménages agricoles. Dans les années qui suivent, en raison de la modernisation de l’agriculture, l’exode rural est dû essentiellement au départ d’une bonne partie de la population agricole, et ce, jusqu’en 1975.

À partir des années 80, le mouvement s’inverse : La population rurale augmente légèrement, phénomène qui s'accentue depuis le début des années 1990 avec l’agriculture intensive. De 1999 à 2007, la population rurale augmente de 9 % quand celle des villes ne progresse que de 4,6 %. L'exode rural fait place à un autre phénomène de grande ampleur qui s'observe dans la plupart des pays développés : la périurbanisation.

 

La périurbanisation touche des couronnes successives de plus en plus éloignées, et même, après 1990, les espaces ruraux. Depuis les années 2000, les habitants des zones rurales sont de plus en plus dépendants des services urbains. Prenons l’exemple de Lavigny, le village natal de mon épouse, qui comptait 330 habitants lorsque nous nous y sommes mariés en 1972. Ce village, qui se situe à 7 km seulement de Lons-le-Saunier, comptait deux écoles élémentaires, l’une publique, l’autre privée, une agence de la poste et des télécommunications, une fromagerie, une boucherie, une épicerie multiservices, un bar, un relais de la perception des taxes spéciales sur les boissons alcoolisées. 30 ans plus tard, tous ces services et ces commerces ont disparu.

 

Tout au long de nos carrières respectives, nous étions citadins, mon épouse et moi-même. Pour notre retraite, nous avons choisi de quitter la région grenobloise et de nous installer dans le Jura, à Saint Germain-lès-Arlay, un village qui compte aujourd’hui 470 habitants. En octobre 2009, nous sommes devenus des néoruraux pour disposer d’un jardin, d’un verger, pratiquer l’affouage, profiter de l’air pur, d’une certaine qualité de vie et de l’espace vital, tout en nous laissant la possibilité d’aller de temps en temps à Lons-le-Saunier à 13 km de chez nous. Nous ne savons pas encore si nous pourrons rester dans notre maison lorsque, si Dieu nous prête vie, nous serons devenus des octogénaires…

 

Un de mes oncles, Xavier Pidou, petit frère de ma mère, a entrepris des recherches généalogiques. Il en ressort que, en remontant 16 générations du côté de ma branche maternelle, mon plus ancien ancêtre connu est un certain Adrien de Vynck, né aux alentours de 1500. Selon mon oncle Xavier, ce qui est surprenant dans l’histoire de la branche grand-maternelle de ma famille, c’est que "tous les ancêtres venaient du même village, de Leisele en Belgique et ce depuis 1600 et des poussières".

 

Ainsi que l’affirmait déjà Cicéron : "Autres temps, autres mœurs !"… Certes, mais sans remonter jusqu’à l’époque de Jules César ni même à celle de François 1er, il est frappant de constater les évolutions démographiques et de l’occupation territoriale en France au cours de ces 50 dernières années.

Comme l’avait prédit le sociologue Henri Mendras en 1967, la France a vu disparaître en une vingtaine d’années la société paysanne, une civilisation millénaire. Selon les données 2016 de l’Insee, alors que la France compte 66,6 millions d’habitants, 50 millions de personnes, soit 75% de la population totale, habitent en ville. Depuis 1850, les proportions entre ville et campagne se sont donc inversées, ce qui explique l’influence grandissante des villes sur les zones rurales.

 

Cependant, le passage de la campagne à la ville et de l’agriculture à l’industrie n’est ni la disparition de la ruralité, ni l’abandon de l’agriculture. La vie économique et la généralisation de l’urbanisation ont entraîné des changements sociologiques radicaux. Dans la ruralité des années 2000, le métier d’agriculteur devient capitalistique et les agriculteurs ne sont plus qu’un groupe social parmi d’autres. Par ailleurs, les zones rurales sont dynamisées de plus en plus par la métropole dont elles sont devenues des satellites.

 

L’Insee a construit un nouveau concept, les "aires urbaines", pour essayer de mieux comprendre le phénomène d’urbanisation et les places respectives de la ville et de la campagne. Les aires urbaines permettent de mesurer la dépendance à la ville, par exemple en considérant les personnes qui habitent à la campagne mais travaillent en zone urbaine. Cet outil nous dit que 95 % de la population vit dans un territoire sous influence des villes. Désormais, le mode de vie "urbain" est devenu quasi-hégémonique. Alors, rural ou urbain ?

 

BM, le 17 août 2020

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