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"Maisons de Chartreuse", Arcabas.

Au début des années 70, j’ai découvert Grenoble et le Dauphiné. Au fil des années, j’ai appris à connaître la ville, la région, les habitants, et j’ai découvert quelques pépites... Parmi elles, la Grande Chartreuse, ce monastère fondé en 1084 par Bruno, mon Saint Patron.

Très vite, j’ai été initié à la montagne par un enseignant du collège du Sacré-Cœur de Voreppe, le Père Gaston Rebreyend. Nous partions de bonne heure avec un casse-croûte et nous gravissions un sommet dans l’un des trois massifs de la couronne grenobloise. Plusieurs fois, nous avons fait l’ascension du Grand som en partant de la correrie à un kilomètre du monastère, lui-même situé dans le désert de chartreuse. La récompense en arrivant au sommet était, à plus de 1000 mètres en contrebas, la vue plongeante sur le monastère. Le silence montait jusqu’à nous et nous pensions aux Chartreux, qui vivent dans la solitude et la prière.

Le monastère ne se visite pas mais sa présence à la fois majestueuse et austère ne peut qu’interpeller le visiteur. Qu’est-ce qui a amené ces hommes à faire le choix radical de la clôture monastique, de cette séparation d’avec le monde extérieur ? Quelle rude vie que celle des Chartreux qui ont consacré leur vie à Dieu et passent une grande partie de leurs journées dans leur petite maison, avec l’atelier au rez-de-chaussée et la chambre à l’étage, chaque maisonnette étant reliée aux autres par un cloître, qui permet d’accéder à l'église, au réfectoire et au chapitre.

Je me souviens d’une discussion avec la directrice d’un lycée professionnel de Voiron : "Avant d’être enseignante, me confiait-elle, à la fin des années 60, j’étais infirmière à l’hôpital de Voiron. Une nuit, nous avons vu arriver un jeune chartreux. Il s’était complètement émasculé et perdait beaucoup de sang. L’hémorragie était telle que nous n’avons pas pu le sauver !".

À la fin des années 70, j’ai fait la connaissance de Jean-Marie Pirot, dit Arcabas, un artiste dont j’avais découvert par hasard, quelques années plus tôt, la décoration de l’église de Saint Hugues-en-Chartreuse, une autre pépite. L’église elle-même avait été construite par les chartreux en 1860. Au début des années 50, le jeune enseignant à l’école des Arts décoratifs de Grenoble cherchait à décorer une église. "J’ai proposé au Père Truffot, m’explique-t-il, d’assurer gratuitement la décoration de son église de Saint Hugues. Le curé et le maire étaient d’accord et c’est ainsi que tout a commencé". À l’époque, Arcabas n’a que peu d’argent et utilise de la toile de jute et des pigments naturels. Ces grandes toiles figuratives se trouvent à hauteur des yeux, de la nef au chœur.

L’artiste encore méconnu n’imagine pas que, 12 ans plus tard, il allait poursuivre son œuvre, laquelle deviendrait progressivement une des plus belles réalisations d’art sacré du XXème siècle. Au-dessus des premières œuvres, il accroche des toiles abstraites à la fois plus colorées et ornementées de feuilles d’or. Quelques années plus tard, comme mu par une mission, il installe un troisième bandeau, cette fois, sous le premier, composé de toiles renvoyant à divers épisodes de l’ancien testament. L’artiste-touche-à-tout n’a pas fait qu’accrocher ses œuvres aux murs : il a aussi recréé mobilier, bancs, candélabres, baptistère, autel, tabernacle, vitraux, narthex…

Arcabas avait son atelier au 1er étage de la fermette qu’il avait restaurée lui-même à Saint Pierre de Chartreuse. Chaque semaine, il descendait à Grenoble pour se changer les idées. Nous n’avions pas rendez-vous mais il nous est arrivé souvent de nous retrouver au "Leyritz", une brasserie du centre de Grenoble. Nous nous saluions, il m’invitait à sa table pour boire le café et nous parlions de tout et de rien. C’était un homme de grande culture et aussi un homme de foi. Mais il restait modeste. Sans vouloir l’importuner, je lui dis mon admiration pour son œuvre et mon désir d’acquérir une de ses toiles.

Dans l’hiver 1995, Arcabas me fait découvrir dans sa réserve de magnifiques toiles de 170 cm x 100 cm et plus. Finalement, compte tenu de mes finances, j’opte pour un petit tableau (46 cm x 33 cm), intitulé "maisons de Chartreuse". Pour moi, cette toile évoque les maisonnettes des moines de la Grande chartreuse, la mystique du lieu et le mystère de la vie cloîtrée et habitée par le Tout-puissant. Mais Arcabas n’avait pas envie de commenter son tableau et je n’insistais pas.

Sans doute, y a-t-il différentes façons de méditer les Saintes écritures et de vivre sa foi chrétienne. Les Chartreux, de leur côté, choisissent de se mettre à l’écart du monde, de séparer le sacré et le profane, et, dans cette protection ascétique, de tendre vers une rencontre privilégiée avec Dieu. Pour sa part, Arcabas ne le cache pas : "Je me suis converti à 20 ans et cette conversion m’a apporté une nourriture nouvelle". En s’inspirant de la bible, il n’a eu de cesse, tout au long de sa vie, de peindre la vie de Jésus, le mystère de Dieu, mais aussi les gens, la vie, la beauté, en mêlant le sacré et le profane.

 

Bruno M., 1er avril 2020, en la Saint Hugues

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